Drôle de titre, mais nombreux sont ceux parmi vous qui me demandent régulièrement des nouvelles, et veulent savoir si je vais bien. Soyez rassurés, je vais très bien. Cela ne veut pas dire que tout va bien tous les jours. Car une expatriation est une très grande étape dans une vie et émotionnellement cette perte de repères ressemble plus à un grand huit qu'un grand fleuve tranquille.
Pour préparer notre nouvelle vie en Californie, il y avait beaucoup de paperasse et d'organisation à faire. Vous nous avez suivi dans notre parcours et connaissez les détails et mon efficacité à tout garder sous contrôle, à tout gérer. Pourtant, l'aspect psychologique est moins simple à préparer et surtout nécessite qu'un "control freak" comme moi lâche un peu. J'avais lu un très bon article de Dr Agnes Justen-Horsten, une psychologue allemande, que je souhaite partager avec vous et adapter à mon cas.
En phase de préparation, il est important de se demander pourquoi on souhaite s'expatrier. Certains gens quittent leur pays pour des raisons politiques, religieuses ou économiques, mais cela n'est plus que très rarement le cas pour les expatriés européens. Nous partions pour vivre un nouveau chapitre dans notre vie, pour donner des meilleurs opportunités à nos enfants et aussi par un certain dégoût des conditions en France (voir mon blog-post du 23 mars 2014).
Le monde aujourd'hui est devenu plus petit, nous avons tous l'habitude de voyager, de faire les études dans différents pays, de parler plusieurs langues. Financièrement il est possible de s'imaginer partout au monde, une "délocalisation personnelle" a l'aire facile. L'internet permet de bien se préparer (Google Maps, Craigslist, ...), de rester en contact avec la famille, les amis et la terre entière avec un clic de souri (Skype, Facebook, Instagram, Snapshat, blogs, ...), le Visa, les assurances et la carte bleue nous donnent un cadre de vie "sécurisé".
Tout ça pour dire que ceux qui partent aujourd'hui l'ont très probablement librement choisi et donc pas "subi". Néanmoins, nous sortons quand même grandement de notre zone de confort. Dépendant de la durée prévue de l'expatriation, nous réagissons différemment. Un statut temporaire peut paraître comme des longues vacances, alors souvent les blogs de ces expatriés ressemblent à des magnifiques guides touristiques qui nous font rêver. Si l'expatriation doit durer plus longtemps ou est même définitif, le blog prend une autre direction, ce qui est en train de se passer avec le mien. Nous ne sommes pas en vacances ici. Certes, notre visa est pour 5 ans, mais nous avons la grande volonté de le proroger et/ou de le changer pour une greencard dès que possible.
Le changement de lieu de vie comporte nécessairement un changement des petites et grandes habitudes. Une chose qui me manque par exemple terriblement, c'est de ne plus lire la version papier du Nice Matin tous les matins au petit déjeuner. La presse ici ne me correspond pas (encore?) et l'école commence tellement plus tôt que lire le journal le matin n'est pas envisageable. Bien entendu, ce n'est pas un grand problème, mais c'est un bon exemple d'une habitude de laquelle je n'aurais jamais pensé qu'elle allait me manquer.
Nous connaissons tous l'Amérique par les films et la télé, mais en arrivant ici définitivement, la perte de notre compétence socio-culturelle est flagrante. Je me rappelle souvent de "ne pas tout comparer", qu'être différent ne veut pas dire "mieux" ou "pire", je suis néanmoins souvent sidérée. Tel un petit enfant, j'observe, tâte, écoute, m'émerveille ou m'étonne, aime ou déteste, mais alors avec une telle intensité .... que même moi, je suis "speechless". On s'adapte, se questionne, on se sent démuni face à tant de différences, on est bousculé dans nos croyances,... c'est très déroutant en tant qu'adulte et de mère de famille, qui veut être le socle pour les siens.
Mais c'est aussi cela qui permet de s'élargir (l'esprit, pas les hanches !), d'apprendre, de s'intégrer, faire des expériences qui nous font grandir. Cette performance intellectuelle et émotionnelle est la base pour notre bien être et bonheur psychologique, qui permettra à terme ma nouvelle autonomie, identité et liberté d'agir. Ce sont ces moments dans la vie qui nous font ce que nous aspirons être. Cette intensité est rare, mais aussi très bénéfique. Mais, avouons-le, elle est aussi rempli d'insécurité et de sentiment de perte de contrôle.
Pour ceux qui envisagent de partir, pensez bien à
- comprendre les raisons qui font que vous souhaitez partir. Si votre raisonnement est bien fondé, l'adaptation dans votre nouvelle culture sera plus facile. Souvent, une personne dans la famille est plus convaincu qu'une autre et il faut bien prendre cela en compte et permettre à chacun de s'exprimer. Demandez vous aussi, lesquels de vos faiblesses vont resurgir dans le nouveau pays, car on ne se réinvente pas. Une partie du mécontentement dans votre patrie peut venir de vous-même, et cette partie sera "dans l'avion" avec vous et ne s'évapore pas.
- faire l'inventaire des habitudes qui vous sont chers. Dans mon cas cité ci-dessus, il aurait peut-être été une bonne idée de m'abonner au canard de Mougins, même si je l'aurais reçu qu'avec quelques jours de retard. Car il ne faut pas oublier: nous utilisons nos ailes pour voler vers des nouveaux horizons, mais nous avons aussi nos racines, qui ne faut pas couper au ras du sol.
- organiser votre départ et dire "au revoir" ou "adieu" d'une manière consciente. Je dois avouer que j'ai évité beaucoup de ces moments, car j'en suis incapable émotionnellement (déjà là, en écrivant, j'ai de nouveau les larmes qui montent). Mais mieux vaut-il les vivre qu'avoir un regret. Un bon départ facilité l'arrivée.
- être conscient que votre nouvelle vie ne va pas vous sembler cohérente. Vous n'allez pas tout comprendre, tout ne va pas avoir du sens, vous n'allez pas être en contrôle. Nos croyances et assurances sont mis à rude épreuve. On doute de ses compétences, son autonomie, son statut, son rôle dans la société. Même en parlant bien la langue, on ne comprend pas tout, du coup on n'est pas à l'aise en société. Ceci peut blesser facilement notre estime en soi, à un moment où on en a bien besoin.
- rester flexible sur vos attentes de votre famille. Au moment, où vous allez subir le stress de votre adaptation, vous allez vous tourner vers votre partenaire et votre famille pour de l'aide. Supporter cette dépendance et ce besoin est inconnu et difficile à supporter pour tous, et souvent l'adaptation des plus jeunes dans votre famille sera la plus rapide (c'est exactement le cas pour nos enfants, qui se sont adaptés en vitesse éclaire à leur nouvelle école et qui ont fait des amis rapidement). Tout le fonctionnement de votre famille peut être chamboulée. Si l'un s'adapte rapidement, l'autre peut se sentir "en dehors". La peur de perdre ou de se séparer s'ajoute à la nostalgie de ce qu'on vient de quitter et un blocage envers des nouvelles expériences. Il faut accepter les différentes formes et vitesses d'adaptation, même si et parce qu'on est acteur de sa propre expérience.
- bien faire la différence entre le quotidien dans le nouveau pays et la responsabilité de votre partenaire et votre famille. Dans des moments de solitude, je suis capable de rendre MMM responsable du vent dehors (qui était hier soir vraiment fort et désagréable), mais je dois avouer qu'il n'est pour rien. A force de me sentir inconfortable et comme il est le seul dans les parages, il "doit" être le fusible. Bien entendu c'est ridicule et nécessite que j'ajuste mon comportement ;-)
- chercher le contact avec des locaux, par le travail, les meet-ups, dans les magasins, l'école des enfants, etc. Pas tout va vous correspondre, mais vous allez faire du progrès et vous adapter avec chaque expérience un peu plus. Sortez, sortez, sortez !
- vous faire un planning pour vos rêves personnels. La semaine dernière, je me suis abonnée à des magazines très américaines (et j'adore). Dans un mois je vais à une conférence à San Francisco, toute seule. Dans deux mois je veux décorer la maison pour un Noël d'une façon typiquement américaine, dans trois mois je veux réussir à courir cinq kilomètres, ...
- vous défaire de quelques habitudes de votre ancienne vie. Lire le Figaro en ligne tous les jours ne va pas aider à vous intégrer, même si vous l'avez fait depuis toujours. Cherchez plutôt le meilleur média qui vous correspond dans votre nouveau lieu. Abonnez vous aux médias en ligne et version papier, car ça fait du bien de recevoir du courrier. Lisez, commentez, d'abord dans votre coin, ensuite en ligne, partagez, ... ça fera son chemin.
- tenter des nouvelles expériences et félicitez vous d'avoir tenté, et bien sûr encore plus si vous avez apprécié. Nous avons tous le cœur serré quand il faut franchir un nouveau pas, c'est tout à fait normal et finalement, quand on l'a fait, on constate que ce n'était pas si compliqué que ça. Et même si cela n'a pas été concluant, c'est très bien d'avoir essayé.
- vous rappeler que c'est normal de passer par des différents stades. Les psychologues appellent cela l'adaptation au choc culturel, qui se déroule en plusieurs phases (et ça se déroule d'ailleurs de nouveau si vous rentrez au pays, donc autant s'habituer ;-)) et a des durées variables d'un individu à l'autre :
Si les défis psychologiques d'une expatriation sont maîtrisés, les profits humains de chacun sont immenses et valent ce chemin "en grand huit". Et n'oubliez pas, il faut laisser du temps au temps. Si vous lisez mon article dans un moment "noir", sachez que c'est temporaire et que nous passons tous par ces stades. Et si je peux vous être utile, écrivez moi un petit email, car partagez sa souffrance est le premier pas pour aller mieux (et accessoirement me donnera le sentiment d'être utile ;-)).
Sur ce, restez rassurés que je vais bien, chaque jour de nouveau. Et vous aussi, je l'espère ! Un gros bisou et bon Dimanche,
Alexandra
Courage Alexandra! Comme tu l'as dit, c'est un grand huit et au final, au fur et à mesure que le temps passe, on ne retient que les hauts et pas les bas. S'expatrier donne tout son sens à la phrase "repartir de zéro", ce que l'on a du mal à imaginer tant que ne l'a pas fait et vécu soi-même ! Et c'est vrai que c'est aussi l'occasion de prendre de nouvelles habitudes, de se donner des objectifs différents.
RépondreSupprimerPour ma part, notre première expatriation m'a appris justement à ne plus trop être "perfectionniste", car j'ai réalisé qu'on ne contrôlait finalement pas tant de choses que ça, et que stresser ou culpabiliser pour des choses sur lesquelles on n'a absolument pas la main est inutile.
Quant aux comparaisons... Elles sont inévitables au début. Puis on finit par s'en lasser, car on réalise là aussi que ça ne sert à rien : Les USA ne changeront pas et la France non plus. Alors on s'adapte, on en rigole ou on ne fait même plus attention parfois.
Si tu as des questions ou des remarques par rapport à des "coutumes" locales, n'hésite pas à m'écrire. Ce qui me surprend le plus depuis notre arrivée, c'est justement le fait que nous nous sommes réadaptés instantanément, sans vraiment de surprise ni de "décalage".
Merci Alain, tu as - comme d'habitude - tout à fait raison. Je tenais quand même à faire ce post, car pour ceux qui souhaitent partir ou qui viennent arriver, il vaut mieux savoir que tout devient plus intense, et que tout s'arrange aussi. A bientôt
SupprimerC'est marrant ton histoire de journal, quand je suis arrivée en Belgique, j avais du mal à m'endormir et j'ai compris après plusieurs jours qu'en France, je m'endormais avec France info (et oui les infos en boucle ça endort :p ) . C'était pour ça que je m'endormais plus, c'est dur de se défaire de nos habitudes françaises. Même après 6 ans d'expatriation, je continue mes courses en France une fois par mois.
RépondreSupprimerMerci yaya, tu sais que tu peux écouter France Info désormais par streaming sur ton ordi, alors plus aucune excuse pour ne pas t'endormir ... Et je comprends que la proximité de la Belgique facilite le shopping en France, t'es bien chanceuse. A très vite
SupprimerOn ne le dira jamais, s'expatrier, c'est dur. En revanche, je ne suis pas d'accord avec Alain sur le fait de ne retenir que les bons moments. Ça doit dépendre de chacun, mais je suis consciente ici de ce qui est bien et de ce qui ne l'est pas. Et je ne souhaite surtout pas oublier à quel point les débuts ont été difficiles. Pour moi, ça ne l'est plus aujourd'hui. Pourtant, je n'aime pas ma vie aux Etats-Unis et je le dis froidement, sans aucune colère et ressentiment. C'est un fait. Pas un problème de choc culturel ni d'adaptation, juste un constat, comme j'aime pas le jaune ou j'aime pas les aubergines.
RépondreSupprimerJ'espère pour toi que tu vas prendre rapidement tes marques et des habitudes, je sais que ce yoyo émotionnel peut être fatiguant :).
Merci Touillette. Tu as raison, chacun doit gerer à sa façon et il ne faut rien imposer à qui que ce soit, car l'expérience est déjà bien intense. Et bien entendu tu as le droit de ne pas aimer. Je connais des gens qui ne rentrerons pour rien en Europe et d'autres qui sont plus partagés. Et bien sûr tu n'es pas la seule à ne pas aimer. Quand j'ai annoncé en France notre projet, j'ai rencontré au moins une dizaine de personnes qui avaient essayé et renoncé. Sans aucun regret.
SupprimerC'est ça l'important, ne pas avoir de regret ! Bon courage à toi pour la suite.
Supprimerj'ai lue avec grande délectation ce passage de ton blog.
RépondreSupprimermerci de magnifique recit.
Merci Lalu Rem, ça m'a donné l'occasion de relire tout mon post (pas mal écrit, je dois avouer ;-)). Aujourd'hui, six mois après notre arrivée, il n'y a presque plus de moment de "flottement", nous sommes "arrivés". Le travail a bien démarré, l'insertion dans le voisinage et en ville s'est fait. Et on adore ! Comme quoi, ça valait le coup ....
Supprimer